venerdì 8 novembre 2013

Lettera di Altiero Spinelli al Presidente del Parlamento europeo nel 1985 prima della Conferenza Intergovernativa di riforma dei Trattati


Pubblico la lettera qui di seguito per farci riflettere. Mi chiedo dove sono questi uomini? Questa categoria si è estinta?

Monsieur Pierre PFLIMLIN
Président du Parlement européen,
Plateau du Kirchberg 9,
L - 2929 LUXEMBOURG

Monsieur le Président,

Je serais venu ces jours-ci vous rendre visite, mais je suis encore retenu au lit à l'Hôpital Brugman où j'ai subi, le 21 aout, une dernière intervention chirurgicale longue et complexe. Pangloss dirait que tout est allé pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Je commence à reprendre mes forces, mais je suis encore trop faible pour venir vous parler et les heures pour penser et décider de ce qu'il faut faire à la prochaine session du Parlement sont comptées.

Je vous écris donc.

Le Parlement européen et la Conférence intergouvernementale des ministres des affaires étrangères ouvriront leurs travaux le même jour, et le Président du Conseil vous a déjà informé que les modalités de la participation du Parlement à l'élaboration des réformes nécessaires seront examinées dès le début de la Conférence.

Puisque les opinions des différents gouvernements ainsi que de la Commission exécutive sur ce sujet sont non seulement différentes mais aussi fluctuantes et la tendance à rechercher einen faulen Kompromiss sera forte, le Parlement devra, d'entrée de jeu, le lundi même, parler haut, clair et de façon "menaçante" en obligeant les ministres de la Conférence à assumer leurs responsabilités.

Pour atteindre ce but, je ne vois pas plusieurs chemins possibles. Je n'en vois qu'un seul que je résumerai de la manière suivante.

1. Le Président de l'Assemblée est le seul qui a le droit de parler au nom de l'Assemblée - à moins que celle-ci ne le désavoue ce qui, dans les circonstances actuelles, n'est pas pensable -.

Normalement, le Président ne fait pas en séance de discours politiques, mais la situation est tellement exceptionnelle que cette fois-ci, immédiatement après avoir déclaré la reprise des travaux, vous devriez annoncer que vous avez quelque chose à dire au Parlement, aux Européens, aux Ministres réunis en Conférence, aux gouvernements des pays membres.

Ce serait une chose superbe si votre mise en .garde pouvait être suivie le lundi même par un bref débat et le vote d'une courte résolution affirmant que le Parlement européen, ayant entendu les déclarations de son Président, les approuve et passe à l'ordre du jour.

Je ne connais pas assez notre règlement pour savoir si un tel débat et un tel vote sont possibles, mais vos services seront à même de vous le dire. Si le risque existe que les anti-européens proposent des débats sur les déclarations du Président à des dates ultérieures en vue de "noyer le poisson", mieux vaudrait faire délibérer par le bureau que votre discours étant une mise en garde de l'Europe et non un point à l'ordre du jour, nul débat ne lui fera suite. ·Le Parlement en parlera lorsqu'il examinera la réponse de la Conférence aux requêtes de participation du Parlement aux travaux constituants.

Puisque en tout cas - avec ou sans débat - votre allocution sera très fortement applaudie, et très faiblement sifflée, personne ne pourrait mettre en doute que le Parlement se reconnait dans vos paroles.

2. Votre discours devrait constater avec amertume que le Parlement européen est l'institution ayant mis en branle les événements qui ont mené à la Conférence intergouvernementale; qu'il a déjà maintes fois demandé que l'élaboration du projet définitif de réforme soit exécutée en partnership entre la Conférence des ministres et le Parlement; que jusqu'à présent, il n'a reçu aucune réponse, comme s'il s'agissait de n'importe quel centre politique privé et non du seul représentant légitime des citoyens européens en tant que tels.

Puisqu'enfin la Conférence va fixer ses idées et le Président Poos vous annonce qu'elle a l'intention de nous octroyer "les modalités selon lesquelles pourront se dérouler nos contacts", il est bien qu'elle sache que le Parlement serait profondément offensé si elle venait lui proposer de l'informer ou de le consulter sur l'état d'avancement de ses travaux et de demander son opinion finale sur un texte élaboré par d'autres.

3. Le Parlement européen n'admettra pas qu'un événement aussi important que la préparation des nouvelles lois constitutionnelles de la Communauté soit soustrait à la compétence des représentants européens des citoyens de l'Europe, et réservé à celle de quelques ministres et de quelques hauts fonctionnaires nationaux.

4. Votre discours devrait conclure en affirmant votre certitude que le Parlement ne votera plus d'autres résolutions pour réitérer ses exigences, l'ayant déjà fait plusieurs fois de manière exhaustive et claire. Il est évident que les gouvernements croient pouvoir ignorer les résolutions du Parlement européen parce qu'ils considèrent celui-ci comme dépourvu d'instruments aptes à imposer le respect de sa volonté. Qu'ils sachent donc que si le Parlement européen devait recevoir une réponse négative, il en tirerait la conséquence que ce n'est pas une Europe efficace et démocratique qu'on veut bâtir mais une Europe inefficace des bureaucrates et des intérêts corporatifs.

Vous devriez rappeler que le Parlement européen dispose de trois armes et exprimer votre conviction ferme - non votre espoir - qu'il en fera usage rapidement, s'il était exclu de la participation pleine, responsable et réelle à l'élaboration de la constitution de l'Europe.

Le Conseil ne peut en effet statuer sur aucune proposition de règlement ou de directive si le Parlement n'a pas donné son avis. La Communauté n'a pas de budget si le Parlement le rejette. La Commission doit démissionner si le Parlement vote sa censure.

En d'autres termes, le Parlement ne possède aucun pouvoir réel législatif et fiscal de contenu positif, mais il possède la terrible potestas tribunicia qui a permis aux tribuns sous la menace de la paralysie de la chose publique, de transformer la république romaine de la "cosa nostra" des patres en la chose du peuple.

Certes, l'emploi de ces armes signifierait une crise institutionnelle extrêmement grave pour la construction européenne. Mais si les gouvernements nationaux s'obstinent dans leur défense myope des compétences et pouvoirs anachroniques de certaines de leurs administrations en les camouflant en intérêts vitaux nationaux, Le Parlement doit les arrêter et les mettre devant leurs responsabilités.

L'Europe n'est plus compatible avec cette myopie politique.

5. Le Président doit obliger à choisir, confiant qu'une partie des ministres est de notre côté et qu'une mauvaise conscience diffuse règne dans l'esprit des autres. les probabilités de les voir céder devant un Parlement résolu sont par conséquent grandes. Si par ailleurs, le Parlement n'avait pas l'audace d'annoncer et de mettre en œuvre sa menace, s'il avait peur d'affronter cette seule bataille possible pour la démocratie européenne, il signerait lui-même sa propre défaite, et avec elle, la défaite de l'Europe.

Voilà, Monsieur le Président, le contenu du discours qu'à mon avis vous devriez et vous seul pourriez faire avec l'autorité nécessaire le lundi 9 septembre.

Veuillez ne pas considérer ma suggestion comme le produit d'une âme agitée. J'ai vécu ces jours-ci dans un état d'esprit tranquille et détaché, presque de sage bouddhiste. Ma proposition nait d'un certain sentiment profond qui me hante, que nous sommes à une croisée des chemins dans la construction européenne. Si le Parlement ne menace pas, s'il permet dass die Weichen gestellt werden dans !e sens d'une construction européenne faite par les ministres et les administrations nationales, les choix ne pourront plus pour longtemps être modifiés et ce Parlement se sera émasculé lui-même. Le monde des anges lui sera peut-être ouvert comme à Origène, mais le monde des hommes lui sera fermé pour toujours. En tout cas, cher ami, en suivant mon conseil, vous n'aurez rien à perdre en cas de défaite et tout à gagner en cas de succès -comme dans le pari de Pascal.

Dois-je vous dire dans quelle mesure j'ai confiance en vous ?

Je compte sur vous et vous souhaite santé, vigueur et ténacité pour mener à bien votre, notre bataille.

Altiero Spinelli

Bruxelles, le 3 septembre 1985